La peur chez le chien
Si un grand nombre de consultations en comportement finissent par mettre en évidence la peur – au sens large – chez le chien, elle reste souvent mal identifiée et mal comprise par le propriétaire inexpérimenté (ou confronté à la peur pour la première fois). Si ces propriétaires finissent par consulter, c’est souvent au sujet d’un ou plusieurs symptômes spécifiques (toutes les expressions de l’agression, des vocalises peu opportunes, urine et défécation, etc. etc.).
La peur peut s’expliquer et se comprendre soit par une prédisposition génétique (le nombre d’éleveurs qui font reproduire – sans complexe – des femelles très craintives est ahurissant – et coupable) soit par un manque plus ou moins flagrant d’exposition agréable et positive aux choses de la vie dès la 3ème semaine (la fameuse « socialisation ») soit, évidemment et malheureusement, les deux à la fois (et, que ce soit clair, cela arrive chez le particulier lambda comme chez l’éleveur avec affixe, papiers et tests de santé prouvés, en élevage – RIEN ne va de soi : les bons éleveurs compétents existent – cherchez-les et privilégiez-les même si cela implique une attente de plusieurs mois, ça en vaut largement la peine).
Une, ou plusieurs, expérience(s) traumatisante(s) spécifiques peuvent également modifier sérieusement les émotions d’un chien qui, jusque là, allait bien. Si votre chiot ou chien a vécu une expérience de peur dont il semble avoir du mal à se remettre (la gestion de l’environnement n’étant pas toujours aisée aussi attentifs que nous nous montrions), ne perdez pas de temps à culpabiliser et à vous morfondre sur ce qui est arrivé : dites-vous bien que de le reconnaître, et donc travailler à contre conditionner le chien vis-à-vis de ce traumatisme sans attendre, va puissamment aider à ne pas laisser le problème s’installer, le plus tôt sera toujours le mieux.
Le chien peut faire des associations malencontreuses entre une peur et un élément innocent de l’environnement… tout ceci n’est pas toujours évident à comprendre (personne, au final, ne sait précisément ce qui se passe dans la tête d’un chien) mais, dans tous les cas de figure, il est infiniment moins important de savoir pourquoi votre chien a peur des hommes barbus que de travailler à modifier son émotion sans attendre, avant que cette peur s’intensifie et qu’elle finisse par s’étendre à tous les hommes, puis tous les humains.
En effet, la « généralisation » de la peur est une fonction adaptative chez tout être vivant : si nous anticipons les moindres signaux précurseurs de ce qui peut se révéler dangereux, nous serons plus à même d’éviter ce que nous redoutons et de le faire plus rapidement. Les soldats qui reviennent de la guerre peuvent se décomposer, une fois de retour à la maison, pour une simple explosion de pétard (voir à ce sujet, l’abominable expérience dite du « Petit Albert » ou de Watson – que vous trouverez aisément sur un million de sites web). Il en va de même chez le chien et, parce que le monde est mal fichu, le mauvais se généralise plus vite et plus facilement que le bon.
Dans tous les cas de figure, il est primordial de ne pas sous estimer l’impact de la peur et donc du stress chez l’animal (ou chez tout être vivant) : en effet, les émotions négatives en pagaille peuvent provoquer des dysfonctionnements métaboliques et, avec le temps, des maladies organiques (on dit souvent que la peau est le reflet de l’âme…)
Apprenons à reconnaître un chien qui a peur ou qui est mal à l’aise (liste absolument non exhaustive)
- Le chien s’éloigne la queue entre les jambes (il cherche à fuir ce qui le met mal à l’aise et lui fait peur) ou il recule en aboyant, une crête sur son dos : ne le forcez PAS à s’approcher de ce qu’il redoute ! Il est tout à fait possible, et même vivement conseillé, de désensibiliser un chien à quelque chose qui l’effraie et qu’il va devoir croiser souvent dans sa vie mais il est impératif de le faire de manière à ne pas augmenter la peur. Imposer, forcer un rapprochement est inacceptable vis-à-vis du chien et dangereux si l’animal a peur d’un autre être vivant.
- Le chien détourne la tête : il est mal à l’aise, il n’apprécie pas cette interaction spécifique (notamment : les « bisous » dont l’immense majorité des chiens n’ont franchement que faire au mieux, exècrent souvent. Pire encore « les accolades », typiques des enfants). Dans ce type de situation, on voit souvent un « croissant de lune » blanc dans les yeux du chien… il exprime par là son mal être évident, tenez-en compte.
- Même si votre chien « endure » et ne passera pas à l’agression (en tous cas cette fois), quel est le plaisir de lui infliger des marques de votre sincère affection si elles sont perçues comme quelque chose de déplaisant ? En ce qui concerne les enfants, dont les intentions sont bien évidemment bonnes, en enlaçant un chien ils se mettent en grand danger – en tant que parent responsable, découragez ce comportement en expliquant qu’il existe d’autres manières d’interagir de façon mutuellement agréable avec un chien (et, cessez, une fois pour toutes, de vous attendrir devant les photos montrant un enfant qui enlace un chien qui, de toute évidence, n’apprécie pas du tout).
- Le chien se cache derrière vous : ne lui refusez pas votre aide. C’est une marque de confiance que de s’en remettre à vous pour résoudre une situation difficile, ne trahissez pas votre compagnon : observez l’environnement afin d’identifier ce qui l’effraie, aidez votre chien à se soustraire calmement à ce qui le préoccupe. Vous pourrez, dans un deuxième temps, travailler à modifier son émotion, de préférence avec un éducateur compétent.
- Il se met sur le dos et expose son ventre (ce comportement se vérifie également quand le chien aime et apprécie les grattouilles sur son bedon mais vous ferez aisément la différence entre une attitude béate pendant une séance câlins fort appréciée et un chien qui a peur) – voir émet de l’urine : ce comportement vise à calmer le jeu, exprime un désir de résoudre pacifiquement une interaction, presque une supplique « stop, ne me fais pas de mal, tu me fais peur ». Le chien peut l’exprimer face à votre colère, s’il est très sensible, face à une simple gronderie. Détendez-vous et, si vous lui avez fait peur, admettez que vous êtes allé trop loin : changez de ton et de manière de faire (si vous ne savez pas comment faire, faites-vous aider par un éducateur compétent en méthodes non coercitives et sans violence, il est toujours préférable de rendre improbable un comportement inapproprié).
Plus subtils encore, les comportements dits de « substitution » (en gros, des comportements tout à fait normaux pour le chien mais produits dans une situation qui ne les explique pas, « hors contexte » : exemple – le chien se gratte parce que ça le démange – normal — le chien se gratte face à des signaux contradictoires que vous émettez : il est mal à l’aise). Un bon éducateur vous apprendra à les identifier et donc à les reconnaître, ils sont nombreux.
Au chapitre des agressions motivées par la crainte, un grand motif de consultation c’est l’agression de distancement (le chien qui plonge en bout de laisse ou, s’il est détaché, fonce sur les gens ou les autres chiens en aboyant furieusement) : en conséquence : (a) la personne ou le chien en face s’arrêtent ou s’éloignent (chic, but atteint donc comportement qui va se reproduire… pourquoi changer une stratégie efficace ?), (b) l’autre chien répond par l’agression ou l’humain en face vocifère et continue d’avancer (ce qui confirme au chien que la menace était bien réelle), ET (c) le propriétaire du chien craintif/réactif va commencer à se crisper sur la laisse systématiquement à chaque rencontre à distance (confirmation bis de la menace et réponse conditionnée par la suite). La bonne nouvelle, tout ceci se modifie par un plan de contre-conditionnement bien maîtrisé. Ne tardez pas trop, ces agressions montent en puissance et fréquence et finissent devenir des automatismes.
En conclusion…
Souvent, le propriétaire va en conclure que son chien est « dominant »… alors que son chien a, tout simplement, peur. Souvent il va punir (coup sur la laisse, vociférations diverses) ce qui achève de plonger le chien dans une peur encore plus grande vu que, désormais, il redoute l’arrivée de ce qui lui fait peur ET votre réaction brutale en prime.
Les peurs du chien peuvent être multiples et nombreuses : certaines s’expliquent aisément, d’autres sont des mystères (j’ai vu des chiens avoir peur d’objets inertes apparemment insignifiants, du « dling » du micro-ondes, sans oublier les grands classiques comme l’aspirateur ou le mixer, l’orage et – par extension – de tous les bruits ou lumières similaires, etc. etc.)
Elles font parfois rire les humains, quand le chien ne recourt pas à l’agressivité… quand il ne souille pas et ne détruit pas (et donc ne dérange pas trop), quand le chien est minuscule (chihuahuas notamment) parce qu’elles correspondent au regard « ridiculisant » que portent beaucoup de gens sur les « petits chiens ».
Elles ne sont pas facilement reconnues par le propriétaire bien viril (femmes comprises) du chien de gros gabarit qui préfère affubler son chien de l’étiquette de « dominant » plutôt que de « craintif », parce qu’elle correspond mieux à sa vision du monde et de soi-même.
Elles donnent lieu à ce magnifique conseil de ne pas « rassurer » le chien quand il a peur, « parce que cela renforcerait sa peur » (alors que la peur est une émotion et qu’une attitude empreinte de sollicitude ne peut, en aucun cas, causer plus de peur) et qui pousse bien des propriétaires pourtant empathiques à se faire violence pour ne pas se préoccuper de leur chien pourtant terrorisé en bout de laisse « parce qu’on lui a dit que… ». Quand un chien minuscule est en proie à une grande peur, il est parfaitement opportun de le prendre dans les bras ou de s’éloigner, quoi qu’en disent les spécialistes de la « rue » ;-) (il ne s’agit pas de prendre un chien dans les bras parce que l’humain a peur et le chien nullement – nuance).
En réponse à toutes ces craintes, peurs ou phobies, on ne peut que proposer désensibilisation et contre conditionnement – en y ajoutant des paramètres fondamentaux comme une observation minutieuse et une lecture efficace du chien, la gestion des distances, la sécurité de tous, la liberté octroyée au chien d’avancer à son propre rythme, la patience et le temps… ce sont des processus qui peuvent être longs, voir parfois, très longs.
Il existe des aides « naturelles » comme la diffusion de phéromones maternelles par collier ou diffuseur (surtout utiles chez le très jeune chien dans mon expérience), l’alphaS1-caséine (protéine du lait), « l’emmaillotement », la L-théanine, l’homéopathie ou, pour les cas les plus sérieux, les molécules chimiques (prescrites par un vétérinaire comportementaliste uniquement) : un chien qui vit dans la terreur et la panique ne peut rien apprendre et, de plus, souffre considérablement (quiconque a un jour souffert de crises d’angoisse ou de stress post traumatique – n’aura nul besoin que j’insiste à ce sujet).
Dans tous les cas de figure, il faudra mettre en place une thérapie comportementale appropriée avec un éducateur compétent et qualifié.
Le plus important à retenir : si vous avez un chien craintif – mettez-le à l’abri de ce qu’il redoute, ne l’exposez pas encore et encore sans ménagement à ce qu’il redoute : c’est à la fois dangereux et cruel
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